GWO KA – UNE EXCELLENTE MUSIQUE DE GUADELOUPE
La musique française possède son folklore ; exemple : la bourrée auvergnate. Il est vrai que ces musiques n’ont
pas une très grande portée, si ce n’est régionale.
Pourtant il existe au moins une musique folk française, à forte connotation identitaire et historique, néanmoins
commerciale. Je veux parler du « GWO KA ».
Beaucoup d’entre vous ne savent pas ce que c’est.
Ouvrons le dossier.
Le GWO KA est la musique la plus ancienne recensée en Guadeloupe.
A l’instar du blues américain, le GWO KA est « né dans la douleur, au sein d’africains déportés en Guadeloupe
et réduits en esclavage. Il a connu l’interdit, le dénigrement, avant de se répandre dans l’archipel et sur le
globe comme patrimoine de grande valeur ». Une reconnaissance due à une poignée de fervents ambassadeurs
dont l’avocat guadeloupéen Félix COTELON. Le mercredi 26 novembre 2014, l’UNESCO a inscrit le GWO
KA guadeloupéen sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
« Le GWO KA a résisté au déracinement de ces femmes et de ces hommes, aux divers traumatismes d’une
population sans repère qui a dû se reconstruire, se recréer ».
« Le GWO KA s’est finalement érigé en lien cimentant les êtres de Guadeloupe. Une genèse qui en fait une
musique de rézistans, un élément puissant de la lutte pour la justice, des descendants de ces personnes
asservies ». Pour l’église, le GWO KA était la musique du Diable. Cela ne vous rappelle rien ?
« L’histoire du GWO KA est à la fois douloureuse et pleine d’espoir car elle repose sur la souffrance et la lutte
mais aussi sur la quête de liberté et la fête pendant les heures sombres de l’esclavage au 17ème siècle en
Guadeloupe. C’était avant tout une façon de résister, d’exister face à la déshumanisation de l’esclavage ». En
se rassemblant malgré les interdits du Code Noir, pour jouer du tambour KA, chanter et danser, les personnes
réduites en esclavage en ont fait un espace de résistance à la déshumanisation et à l’acculturation, assurant ainsi
sa viabilité. Depuis, le GWO KA se transmet de génération en génération.
«Le GWO KA est l’âme de la Guadeloupe tant il est porteur de messages ».
« Le GWO KA est pluriel : musique, chant, danse, pratique culturelle représentative de l’identité
guadeloupéenne. Il partage et rassemble car il se vit en communauté mais chacun est invité à exprimer son
individualité »
L’instrument de musique est appelé KA, tambour rythmique « composé d’une peau de cabri (chèvre) et d’un
tonneau qui est la caisse de résonnance, le tout assemblé par un système de cordage et de cerclage métallique.
Au temps de l’esclavage, le tonneau était du matériau de récupération qui servait à conditionner la viande salée
ou le vin ».
Les personnes asservies ont synthétisé la musique GWO KA en créant plusieurs rythmes de base dont les 7
principaux sont le MENNDé, le GRAJ, le TOUMBLAK, le LéWÒZ, le KALADJA, le WOULé, le
PAJANBEL. Il y en a d’autres qui ont été abandonnés par les tanbouyés (joueurs de KA), notamment le
« SOBO » rythme proche du NAYABINGHI jamaïcain.
L’instrument KA servait aussi aux Nèg mawon (esclaves fugitifs) à communiquer entre eux pour les réunions,
les alertes et toutes sortes de messages.
Avec les mouvements anti assimilationnistes et anticolonialistes qui se sont développés à partir des années 60,
le GWO KA a quitté petit à petit l’univers des plantations de cannes et des faubourgs où les marginaux la
pratiquaient. Quand une femme chantait et dansait du GWO KA, elle était traitée de pute. Vers les années 70,
cette musique s’étend à toute la Guadeloupe et devient un espace de contestation et d’expression identitaire.
Durant ces mêmes années 60 le GWO KA dit traditionnel, appelé à l’époque musique folklorique, abordait
souvent des thèmes d’ordre social, mais avec une connotation « doudouiste » c’est-à-dire que nombre de textes
évoquaient le boire, le manger, le plaisir, la légèreté.
A partir des années 70, la connotation politique de la musique GWO KA a pris tout son essor et d’autres
instruments sont venus s’ajouter au KA : percussions, guitare, piano, cuivres et autres. C’est ainsi qu’est né le
GWO KA MODèN dont le père est Gérard LOCKEL.
Là encore, la censure a parlé. Gouvernants, médias, une partie de la population ont tout fait pour gommer, rayer
cette musique, des surfaces de diffusions : radios, télévisions, salles de concerts etc…
C’est de cette effervescence qu’est né le ZOUK qui est une réminiscence d’un des rythmes du GWO KA : le
Menndé.
A noter que durant les années 40-50 est née la BIGUINE, une autre émanation du GWO KA ; elle est issue du
Graj.
La musique GWO KA a donc enfanté deux musiques : BIGUINE et ZOUK, à des époques différentes.
Le ZOUK est né avec le groupe KASSAV au début des années 80. Cette musique a été un vecteur économique
considérable durant près de 20 ans. La Guadeloupe durant ces années-là était, après l’Ile de France, la région
française qui rapportait le plus d’argent à la SACEM. Pourtant nous ne sommes que 400 000 habitants en
Guadeloupe.
Avec BIGARD et JOHNNY, le groupe KASSAV est l’unique groupe français à remplir le stade de France !
Mais il faut bien admettre que le groupe KASSAV, groupe français à part entière, est traité comme un groupe
français « entièrement à part… »
Systématiquement zappé par le showbiz français, négligé par les médias, pourtant toujours disque d’or, de
platine, de diamant, depuis des décennies, KASSAV représente la France aux quatre coins du monde, avec des
tournées interminables… 40 ans de carrière et de succès et méconnu en France hexagonale, sauf chez les
antillais et africains !
D’ailleurs le groupe a décidé d’arrêter les tournées (l’âge peut-être…). C’est vrai qu’au bout de 10 tournées
mondiales, on en a fait le tour. Quel autre groupe français peut en dire autant ? Un nombre impressionnant de
grands concerts dont plusieurs à l’Hôtel Accor Arena : la presse, les médias hexagonaux n’en parlent pas. Le
groupe INDOCHINE fait petit garçon à côté, pourtant beaucoup de français pensent que c’est lui le n° 1
français.
Appelés maîtres KA, les premiers artistes qui ont popularisé la musique GWO KA furent CARNOT, Robert
LOISON, Germain CALIXTE dit CHABEN (prononcer Chabin), mais le maître absolu fut Marcel LOLLIA
plus connu sous le nom de VéLO. Sa statue trône au milieu de la rue piétonne à Pointe-à-Pitre. C’était un
vagabond mi-clochard, mi-alcolo, pourtant lors de sa mort, il eut des obsèques dignes d’un chef d’Etat. C‘est le
seul homme qui a réuni tout un peuple autour de sa dépouille exposée sur la Place de la Victoire à Pointe-à-
Pitre. C’est un personnage incontournable de l’histoire musicale de la Guadeloupe.
Le GWO KA MODEN que j’évoque plus haut, a été créé par Gérard LOCKEL qui a créé son propre code ; le
langage du GWO KA MODEN, musique atonale est extrêmement difficile d’accès pour beaucoup, mais a eu
le mérite d’ouvrir la voie à beaucoup de musiciens. Gérard LOCKEL a fait école. Des groupes comme KAFé
KA LéVé sont nés, son leader était Edouard IGNOL dit KAFé, trompettiste de son état, lui aussi a fait école.
Les musiciens Robert OUMAOU, Georges TROUPé, Christian DAHOMAY faisaient partie de la 1 ère
génération de ce groupe.
Après leur séparation, Robert OUMAOU a créé le groupe GWAKASONé, Georges TROUPé a créé le groupe
KIMBÒL, Christian DAHOMAY a créé le groupe KATOURé.
Dans la 2 ème mouture du groupe de KAFé, il y avait le guitariste Christian LAVISO qui a créé son groupe,
HORIZON.
Enfin, issu de l’une des dernières vagues du groupe KAFé, j’ai créé le groupe JÒD’LA et aujourd’hui, je
fonctionne sous mon propre nom Philippe BLAZE.
LOCKEL, KAFé, GWAKASONé, KIMBÒL, HORIZON, JÒD’LA, tous ces artistes et groupes ont produit
plusieurs albums. Ils font partie de l’histoire de la musique GWO KA MODEN, GWO KA EVOLUTIF ou
GWO KA FUSION comme aiment à le dire les médias.
La musique GWO KA a de beaux jours devant elle car ceux qui la pratiquent sont dans une dimension
militante, identitaire et de résistance, à l’instar des prédécesseurs qui on créé et développé cette musique.
Cette musique comporte différents styles ; certains sont très jazz, d’autres très pop et d’autres encore comme le
mien sont plus rock, mais le tout repose sur le même socle, le GWO KA TRADITIONNEL.
Bien qu’elle soit reconnue comme patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO, cette musique ne passe
quasiment pas sur les médias de la Guadeloupe qui préfèrent de l’imitation reggae dance-hall, RNB, produite
par beaucoup de nos jeunes artistes.
Chaque année (sauf durand la covid) se déroule le festival de GWO KA en Guadeloupe.
Un ethno musicologue américain (dont je ne connais pas le nom) venu en Guadeloupe lors de l’un de ces
festivals, a déclaré que la Guadeloupe est l’un des territoires au monde où il y a le plus de musiques à la fois
identitaires et commerciales.
Miles DAVIS lui, a dit que le zouk est une musique d’avenir. Le Brésil l’utilise sous le nom de KIZUMBA, des
artistes africains et franco-africains telle que Aya NAKAMURA entre autres, l’utilisent avec succès.
Il n’y a que les français, qui ne reconnaissent pas ce qui est à eux quand cela vient de l’outre-mer jadis asservi.
Soyons positivement chauvins puisque le GWO KA est la lus belle musique de France !!!
Philippe BLAZE